The Recordist : Back to the Future?
Un nouvel album s’accompagne habituellement d’une flopée de questions de la part de celles et ceux qui l’écoutent. Parfois, la controverse s’invite gentiment à la table du débat et c’est plutôt de bon augure. Cela signifie que l’album interroge, intéresse aussi, et qu’il ne servira pas seulement à « caler les armoires bancales » des personnes qui l’ont acheté.¹
Pourquoi avoir appelé ce nouvel Opus « The Recordist » ?
The Recordist, c’est celui qui enregistre. Tout le monde enregistre un tas de choses dans la vie, et pas uniquement de la musique. Des souvenirs, des parfums, des visages, des sons, des photos, des sensations… À travers le prisme du piano, j’ai gravé sur ce disque un peu de ma mémoire d’enfant. En ce sens, on pourrait également traduire ce titre par « L’archiviste ».
Tu joues de la musique classique bizarrement. Parfois, tu ne respectes pas du tout ce qui est noté sur la partition ! C’est permis, tout ça ?
La musique n’est pas un art poussiéreux qu’on enferme une fois pour toutes dans une prison dorée de conventions vasouillardes. C’est d’autant plus vrai pour la musique classique qui repose historiquement sur une fantastique tradition d’improvisateurs de génie. Rejouer pour la millionième fois un Nocturne de Chopin, à la note près et en se basant sur une écriture momifiée depuis des siècles, me paraît tout bonnement écœurant. Cela dit, je ne pense pas véritablement improviser (laissons cela aux spécialistes). Je cherche surtout à rester libre.
Tu as aussi enregistré onze compositions personnelles sur cet album. Certaines datent de Mathusalem, alors pourquoi les avoir produites seulement maintenant ?
Je voulais les enregistrer dans mon studio. Pour tout maîtriser de A à Z, même imparfaitement, il a donc fallu s’armer de patience. Quand j’ai composé certaines de ces pièces, j’étais très jeune, inexpérimenté et autodidacte. En cela, ces petits morceaux sans prétention sont très intéressants, car pas encore marqués du sceau sottement cuistre de l’enseignement de la musique classique.² Je reste persuadé qu’il n’est pas nécessaire de « connaître » les règles musicales pour composer de la musique.
Tu prends aussi quelques libertés par rapport au tempo, surtout chez Chopin. Le Nocturne que tu as enregistré dure plus de 7 minutes ! Franchement, t’as pas l’impression de pousser mémé dans le concasseur, là ?
Ben non, pas vraiment. Enfin si, peut-être… J’ajoute des notes, c’est donc normal que cela dure plus longtemps. En fait, je m’en sacre le printemps ! Les concours de piano font croire que plus c’est vite, mieux c’est. Certains pianistes travaillent encore au métronome, c’est dingue ! Ils vont même jusqu’à chronométrer leurs performances. Si j’avais voulu battre des records de vitesse, je me serais inscrit dans un club d’athlétisme.
Dis, tu as vraiment enregistré cet album tout seul ?
Le son de l’album est très particulier. Peu de réverbération, longues résonances, utilisation parcimonieuse de la pédale, etc. Il s’éloigne fortement des standards du genre et peu d’ingénieurs du son auraient pris le risque d’enregistrer un album de cette façon. Pour moi, c’est vraiment un luxe jouissif de pouvoir réaliser un disque tout seul. Aucun Damoclès pour faussement te flatter et surtout, aucune Boulaise³ pour claironner bêtement : « il faut que ça sonne comme ça parce que c’est comme ça qu’on fait ».
Certaines musiques sont très relaxantes, d’autres beaucoup plus dissonantes. Finalement, c’est quoi ton style musical ?
J’écoute une pléthore de styles musicaux et cela pourrait expliquer les différentes influences présentes dans mes compositions. Toutefois, est-ce vraiment utile de parler de cela ? Toute agitation intellectuelle superflue aura tendance à gripper artificiellement la mécanique de la création. Je précise que les morceaux de ce nouvel album renforcent les états d’âme « positifs » chez l’auditeur (méditation, imagination, motivation, dédramatisation, inventivité, ouverture d’esprit, joie de vivre, etc.). Mais c’est le lâcher-prise qui permettra vraiment de rentrer dans cet univers.
Alors, vraiment aucune influence ? Sérieusement ?
Si tu insistes, je dirais… Chet Baker ?
→ Propos recueillis par l’Asbl Promania. Un grand merci aux (nombreux) premiers acheteurs pour leur franchise.
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¹ Dixit le rappeur Médine, dans sa chanson Bataclan.
² La plupart de ces pièces ont également été utilisées comme BO de petits courts-métrages réalisés par Alessandro Bevilacqua.
³ Gentil sobriquet affublé aux musiciens qui croient tout savoir.